samedi 8 octobre 2011

Quelques détails sur le JTS

J'en avais déjà parlé, le JTS est l'occasion pour nous de quitter le monde de l'aviation légère et de se familiariser avec les gros porteurs.
Il y a beaucoup d'aspects couverts en finalement assez peu de séances. Au total, nous avons fait 15 simus de 4h (avec une heure de briefing avant et une après). Chaque vol se divise en 2 : un où je suis "pilot flying" (aux commandes donc) et un où je suis "pilot monitoring" (en support de mon binôme).

Tout d'abord, il y a la taille et la complexité de l'avion... sur notre simulateur favori, avant même de commencer à rouler, il se passe 30 minutes. Nous commençons par "allumer" l'avion en branchant l'APU (mini réacteur dans la queue de l'avion qui permet d'assurer les besoins en électricité du bord à l'arrêt), vérifier l'état de l'avion, superviser le chargement des bagages, passagers, cargo, l'avitaillement en kérosène (avec des calculs à la clé pour vérifier), demander des "clearances" (autorisations de vol) au contrôle aérien, demander le repoussage de la porte d'embarquement, demander l'autorisation de lancer les moteurs, de rouler, de décoller, etc... le tout agrémenté de check lists variées et de vérifications à connaître par coeur (70 ou 80 boutons différents dont il faut connaître la fonction, la position, etc)

Ensuite, au sujet du pilotage lui même, il y a pas mal de différences : un avion léger, à hélices, n'a quasiment aucune inertie, remettre de la puissance se traduit immédiatement par une accélération de l'avion (d'abord parce que le moteur à piston est réactif, mais aussi parce que le souffle de l'hélice qui passe dans les ailes produit de la portance immédiatement). Un Boeing 737 (puisque notre simu est une réplique de ce modèle)  a beaucoup plus d'inertie (en raison de son poids d'un peu plus de 100 tonnes et de par la conception même du moteur à réaction)... avant de sentir une accélération, il se passe 3 à 5 secondes... quand on approche des vitesses limites, il y a donc moyen de se faire peur... A l'inverse, quand la puissance arrive, elle fait vite franchir les limites du raisonnable (même en montée).
Les 5 premières séances ont donc principalement été dédiées à la prise en main de l'avion et à l'apprentissage des procédures qui l'accompagnent.

Une grosse différence par contre, avec nos vols d'avant c'est le pilote automatique... eh oui, à partir de maintenant et jusqu'à la fin de notre carrière, on ne volera quasiment plus qu'à travers cet outil qui pilote souvent mieux que nous...
Pour autant, qui dit pilote automatique ne dit pas "assis au fond du siège à regarder l'avion voler". Il existe une grande variété de modes qui laissent plus ou moins de liberté au pilote pour diriger la trajectoire.
En premier lieu, on distingue deux dimensions : la navigation horizontale et la navigation verticale.

La navigation horizontale consiste à s'orienter sur une carte et à aller d'un point A à un point B.
Pour ce faire, on a plusieurs choix : un mode "heading" qui consiste à choisir un cap avec un curseur et à laisser l'avion y aller tout seul (facile... ah mais attention, qui dit cap ne dit pas route pour autant... s'il y a du vent, l'avion subira une dérive dont il faut tenir compte...), on a aussi un mode VOR (je ne rentre pas dans le détail mais en gros, on désigne un repère au sol et l'avion s'oriente par rapport à lui) et on a aussi le mode ultime : LNAV (lui, il est trop fort, tous les points sur la route de l'avion sont enregistrés dans l'ordinateur central de l'avion qui va ensuite y aller tout seul, anticiper les virages, etc).
Bon, bien sûr, LNAV ne marche pas toujours, ce serait trop simple... pour la plupart des approches complexes, les points ne sont pas enregistrés).

La navigation verticale consiste à choisir comment on vole dans le plan vertical (jusque là ça semble clair, non ?)... mais c'est beaucoup moins évident qu'il n'y paraît.
On a un mode standard : ALT (maintien d'altitude), un mode ALTS (qui est un sous mode, qui signifie que lorsqu'on atteindra l'altitude désirée, le mode ALT s'engagera). On a aussi deux modes plus évolués: SPEED et VERTICAL SPEED (VS). SPEED consiste à garder la vitesse de l'avion en ajustant l'assiette (par ex, je coupe la puissance... pour garder la vitesse sélectionnée, l'avion va descendre). VS c'est l'inverse, on choisit la vitesse verticale en ft/min et l'avion va se caler dessus (mais là, la vitesse changera avec les variations de puissance). Chaque changement d'altitude nécessite donc de jongler avec tous ces modes (et surtout impose de savoir comment va réagir l'avion à l'avance...)... surtout quand le contrôleur (qui est aussi l'instructeur) change soudainement d'avis et nous demande d'arrêter la montée ou de la reprendre le plus vite possible...
Par exemple... si, en descente, on souhaite réduire un peu la vitesse en mode SPEED, l'avion va se mettre à monter franchement pour atteindre, au plus vite, la nouvelle vitesse et se remettre à descendre ensuite... pour le confort du vol (et le nettoyage des sièges en cabine) on évite donc...
Car autant, les descentes et les montées représentaient une part faible de notre temps de vol, autant, quand on monte à 33000ft (10.000m), ça prend du temps... c'est simple, sur chaque vol de 2h, on a environ 25 min de montée et autant de descente.
Et un dernier détail... à la différence des avions Cathay (et du nouveau simu qui arrive dans deux mois), le JTS n'est pas équipé d'une automanette (manette des gaz reliée au pilote auto)... la puissance est donc complètement gérée à la main, ce qui est  relativement perturbant quand on a un pilote auto qui s'occupe quasiment de tout sauf de la vitesse.

Un autre aspect nouveau pour nous, le travail en équipage... et toutes les incompréhensions et malentendus que ça suppose au départ.
En tant que pilote flying (PF), on se repose sur le pilote monitoring (PM) pour changer les fréquences radio, gérer la radio, faire les calculs d'estimée, suivre la consommation. En tant que pilot monitoring... en plus d'aider le PF (à sa demande), on a un rôle de contrôleur des travaux finis : suivre chaque geste du PF, corriger ses erreurs, lui rappeler ce qu'il a oublié, etc.
Et se voir rappeler ses ratés en permanence, ce n'est pas exactement amusant (mais pourtant nécessaire vu le nombre de choses à faire et la tension qui règne à bord dans les phases critiques).
D'ailleurs, dans nos manuels, plusieurs pages sont dédiées à la manière dont on peut rappeler à quelqu'un qu'il a commis une erreur ou oublié un paramétrage ("souhaiterais-tu que je change cette fréquence pour toi?" au lieu de "pffff, t'es trop naze, t'as encore oublié de les appeler..." etc...)...
Et définir la limite entre aider et commander n'est pas toujours facile... Un binôme de ma classe a associé un très bon pilote à un autre manquant totalement de confiance en lui et souvent dépassé par les événements... quand le bon était PM, il dictait purement et simplement les gestes à l'autre, qui était trop content de se trouver déchargé (sauf que les instructeurs n'appréciaient pas toujours cette aide providentielle). A l'inverse, dans un autre binôme, un des deux pilotes, trop désireux de montrer à l'instructeur qu'il était bon, rappelait continuellement son binôme à l'ordre sans raison ("attention à ta vitesse" alors que l'autre était à 2km/h de la cible par ex). Bref, le travail à deux, ça ne s'improvise pas, ça s'apprend... et pour certains... c'est dur.
Dans mon cas, je me suis vite rendu compte de la complémentarité du vol à deux et de l'intérêt d'avoir deux paires d'yeux dans le cockpit... (maintenant, quand je fais une erreur et que l'autre me le rappelle, je lui dis merci... et je le maudis quand même un peu dans ma tête ;-) )

Autre détail amusant : gérer les "personnels navigants commerciaux" (les hôtesses si vous préférez...). Les asseoir pour le décollage, les autoriser à commencer le service pendant la montée, leur demander de préparer la cabine pour l'atterrissage, etc.

Au final, ces 15 vols sont passés très vite... notre calendrier était particulièrement tendu... 5 semaines pour tout faire... mais 12 simus en un peu plus de 15 jours au final car une classe avant nous avait pris du retard. J'ai donc enchaîné 4 simus de suite (ce qui est interdit par Cathay : 3 max... mais quelqu'un chez FTA s'est gouru...) puis un jour de repos, puis 3 autres d'affilée. 6h au total plus au minimum 5 à 6h de préparation pour chaque = des journées longues et de courtes nuits.
J'ai quand même profité des derniers vols... quand on commence à prendre un peu de recul sur le pilotage pur, on apprend à "manager" l'avion. D'autant que certains scenarii étaient amusants : passager malade exigeant une approche à grande vitesse jusqu'au dernier moment, aéroport fermé pour cause de menace terroriste (déroutement donc), météo qui se dégrade, s'améliore, se dégrade à nouveau... On a appris à prendre des décisions à deux, en fonction d'impératifs opérationnels (la compagnie dispose t'elle de personnels au sol pour accueillir nos 120 passagers sur cet aéroport lambda, au milieu de nulle part? ai-je assez de kéro pour attendre que ça s'améliore?). On a même simulé des annonces passagers (pour faire encore plus vrai...) "Mesdames, Messieurs, c'est votre commandant de bord qui vous parle, en raison de conditions météo très dégradées à destination, nous avons dû nous dérouter vers Macau, nous mettrons tout en oeuvre pour vous ramener dans les meilleures conditions et les meilleurs délas à HK, nous nous excusons pour la gêne occasionnée, bla bla bla...".

Et encore, si on relativise un peu... au cours de ces 15 simus, aucune panne moteur, pas de pilote auto qui part en vrille, quasiment pas de vent en vol... tout ça, ce sera pour la qualification de type (à HK).


dimanche 2 octobre 2011

Un choix décisif... ou pas...

Un choix de flotte, c'est une décision qui vous engage pour plusieurs années... chaque flotte a ses spécificités, ses avantages, ses inconvénients.

Il y a 4 modèles d'avion chez Cathay, tous longs-courriers, mais seulement 3 possibles pour nos premières années.
Chez Boeing:
- le B777, plus puissant bi-moteur long courrier actuellement en production, une réussite commerciale pour Boeing  (détails ici : http://fr.wikipedia.org/wiki/Boeing_777).


- le B747... avion de légende, 4 moteurs, 2 étages, 400 passagers à bord, un pilote assis 15m au dessus des roues et presque 40m devant les roues à l'atterrissage... mais gros gourmand en kérosène et en voie de remplacement chez Cathay (détails ici : http://fr.wikipedia.org/wiki/Boeing_747)


Chez Airbus :

- l'A340, copie conforme de l'A330 (la qualification de type est commune) à part pour les 2 moteurs supplémentaires, très long courrier, de capacité moyenne, Cathay le réserve aux routes à "faible densité" (détails ici : http://fr.wikipedia.org/wiki/Airbus_A340)


Bon, pour l'instant c'est facile: si on veut du modernisme et de la puissance, B777, si on veut piloter la légende en fin de vie, B747, et si on veut du modernisme, 4 moteurs et une conversion facile vers la gamme Airbus (principalement utilisée en Europe), A340.

Sauf que...
Les destinations ne sont pas les mêmes...
Globalement, chez Cathay,
- le 777 dessert l'Amérique du Nord (NY, LA, Chicago, Vancouver, Toronto) et un peu l'Europe (Londres, Milan... et plus rarement Paris).
- le 747 fait une bonne partie de l'Europe (Paris, Londres, Francfort, Amsterdam), un peu d'USA (San Francisco, Anchorage pour les cargos), un peu de Japon, un peu de Nouvelle Zélande, parfois l'Afrique du Sud.
- l'A340 va sur les villes moins souvent desservies (Moscou, Nouvelle Zélande, un peu de Paris, Milan, un peu de Londres, Abu Dhabi...)
Donc bon, perso, à part l'A340 disons que ça va.

Sauf que...
Ces destinations là sont celles que je visiterai en tant que Second Officer... eh oui... Cathay opère aussi des vols plus courts qui ne nécessitent pas de pilote de croisière. Donc dès que je deviendrai First Officer (copilote si vous préférez), j'irai sur d'autres destinations moins lointaines... et surtout plus fatigantes car A/R dans la journée.
Ca nous donnera donc :
- A330 (eh oui, la qualification étant commune, dès qu'on devient copi, on passe automatiquement sur le petit frère bi-réacteur quand on vient de l'A340) : Australie (Perth, Melbourne, Sydney, Adelaide, Cairns, Brisbane), tout le Pacifique (Bali, Malaisie, Indonésie...).
- B777 : Japon (toutes les grandes villes), Taiwan, Inde, Vietnam, Thailande...
- B747 : pas de moyen courrier à part un peu de Japon et de Taiwan.
J'aimerais rentrer sur Paris de temps en temps, le choix naturel serait donc le B747 ou l'A340 qui viennent respectivement une fois par jour et trois fois par semaine... mais les choses changent : le B747 vieillit, coûte cher en kérosène et sera remplacé sur les lignes européennes d'ici quelques années (mais on ne sait pas encore par quel avion...)

Sauf que...
Les escales, c'est chouette mais il faut penser au temps qu'on passe sur place... l'A340 étant affecté aux lignes les moins denses, l'avion ne vient pas tous les jours... donc l'équipage doit rester sur place plus longtemps.
Par exemple, l'escale Paris sur A340 est de 4 jours (30h sur 747).
Perso, tout bien considéré, je préfère éviter les escales longues, en effet, plus de temps sur place = plus de temps pour visiter et en profiter sur place... mais plus longtemps loin de la famille également... et je serai déjà assez souvent absent.

Sauf que...
Si on regarde à plus long terme, si un jour nous souhaitons rentrer en France (autrement que via Cathay), autant prendre l'avion qui est le mieux représenté en Europe... et, de fait, l'Airbus est largement sur-représenté dans nos contrées. De plus, les conversions d'un Airbus à un autre sont très simples. Depuis plus de 20 ans, le constructeur européen a appliqué la même philosophie à tous ses cockpits : du petit A318 à l'A380, les commandes et équipements sont, pour la plupart identiques... passer de l'un à l'autre est rapide et le constructeur a mis en place des programmes à cet effet. Boeing par contre n'a pas fait cet effort jusqu'à aujourd'hui (mais cela est en train de changer pour le 787).

Sauf que...
Boeing et Airbus, ce sont deux philosophies différentes... deux manières de concevoir l'aviation. Depuis l'A320 développé au milieu des années 80, Airbus a développé et généralisé le "fly by wire" : tous les ordres du pilote passent par un ordinateur central qui les transmet aux commandes de vol... ou non... Si le pilote "pousse le bouchon un peu trop loin" (et essaye de faire un looping pour écrire son prénom dans le ciel avec la fumée des réacteurs), l'avion n'ira pas plus loin que ce pour quoi on l'a programmé.
Boeing, à l'inverse, laisse le pilote décider en dernier ressort, même si les ordres dépassent l'enveloppe normale de vol. Pour un pilote, avoir le choix est toujours plus agréable que se voir imposer des restrictions par un programme informatique et beaucoup préfèrent Boeing pour cette raison. Pour autant, il n'y a pas plus d'accidents de Boeing que chez Airbus donc le débat n'est pas tranché.
Un dernier détail, plus pratique cette fois : Airbus a choisi le joystick pour tous ses avions alors que Boeing reste fidèle au vieux manche à balais. En soi, ça n'a pas grande importance... sauf pour... manger. Sur Airbus, le pilote peut déplier un plateau devant lui (car le joystick est situé dans l'axe de l'accoudoir)... sur Boeing, pas possible : le manche est devant les deux pilotes et ne bouge pas... on mange donc plateau sur les genoux.

Je pourrais continuer pendant des dizaines de pages... un choix de flotte est complexe, chacun a ses critères.
Pour l'instant, j'ai choisi le B747 qui me permettra de passer à Paris, de piloter un avion de légende et d'aller sur des destinations plutôt intéressantes. Par contre, je pense que je demanderai à faire ma transition copilote sur Airbus (pour envisager l'avenir).

Sauf que... Cathay nous demande de donner nos préférences mais ne les respecte pas souvent.
Pour exemple la dernière promo qui est partie il y a deux semaines pour HK avait demandé pour moitié le B747 et pour moitié le B777... ils ont tous eu le B777. Et un élève d'une promo antérieure qui avait pris du retard dans sa formation (en raison d'un décès dans sa famille) et qui a rejoint HK la semaine dernière (1 mois en retard sur ses camarades) a eu le B747 alors qu'il avait demandé le B777. Allez comprendre...

En somme, selon toutes probabilités, je me suis posé beaucoup de questions pour rien...